J’ai appris à coudre pendant mes études, vers 2006/2007. Je tricote depuis que je suis toute petite, et à cette époque je passais beaucoup de temps sur des forums de loisirs créatifs (il y a peut-être des anciennes de craftster.org par ici ?). J’étais super jalouse de toutes les robes rétro aux imprimés farfelus que j’y voyais… On n’en trouvait pas dans le commerce à l’époque ! Il se trouve que ma mère prenait des cours de couture cette année-là, alors je lui ai demandé de s’entraîner avec moi et de m’apprendre les bases. Elle a beaucoup insisté pour que je prenne le temps d’être méticuleuse : marquer correctement toutes les pièces, tracer les lignes de coupe et de couture, vérifier et mesurer le tout plusieurs fois… cette approche m’a permis de me débrouiller avec des patrons Burda et leurs instructions minimalistes pendant des années.
Je n’ai jamais suivi de cours mais j’ai pris l’habitude de faire des recherches sur différentes techniques au fur et à mesure, en ligne ou dans des livres de couture. C’est aussi ce qui m’a inculqué mon amour des belles finitions, ce qui est probablement ce que je préfère dans la couture. Bien sûr, la capacité de créer et de porter des vêtements uniques et bien ajustés est incroyable… mais avant tout je suis une geek des techniques ! Apprendre et expérimenter de nouvelles façons de manipuler le tissu ne cessera jamais de me fasciner, et ce sentiment de fierté quand on termine une braguette ou un col parfait est sans égal.
Je connaissais Eléonore bien avant qu’elle ne lance Deer&Doe : j’étais une lectrice assidue de son blog de couture “Pachi Pachi”. Pour tout dire, à l’époque je la considérais comme ma némésis de couture ! Je passais mon temps à râler tellement j’étais jalouse de sa productivité. Comme quoi, la vie est pleine de surprises…
Je l’ai rencontrée en vrai pour la première fois en 2012, lors de la soirée de lancement de Deer&Doe organisée dans une jolie mercerie parisienne. J’avais acheté Belladone et Bleuet, puis je me souviens m’être approchée d’elle et avoir bafouillé qu’elle était une source inspiration pour moi… et quelque chose comme quoi elle sentait bon ou un truc bien creepy dans le genre. Le moment de la honte auquel on repense avant de s’endormir des années plus tard😅
Apparemment, faire des gaffes, ça paie : quelques mois plus tard j’ai répondu à une annonce qu’elle avait publiée pour trouver un mannequin amateur, et non seulement elle se souvenait de moi mais elle espérait que je postulerais ! À l’époque, je travaillais sur mon doctorat en informatique et je vivais juste à côté de chez elle à Paris, alors on a commencé à se retrouver régulièrement pour des essayages et des photos. Malheureusement, j’ai déménagé en 2014, lorsque j’ai quitté la France pour rejoindre une équipe de recherche dans une université de Caroline du Nord. Même si j’ai dû laisser tomber l’idée de devenir top-modèle internationale, on n’a pas lâché notre amitié pour autant, et je suis restée impliquée dans Deer&Doe en tant que testeuse ultra pointilleuse.
Alors j’ai commencé à poser pour les photos et à tester des patrons début 2013, mais je n’ai rejoint Deer&Doe à titre officiel que fin 2015. À l’époque, j’étais vraiment épuisée par mon travail dans le milieu universitaire et je commençais à envisager un changement de carrière. Quand Eléonore m’a dit qu’elle cherchait quelqu’un pour rejoindre l’entreprise, ça a été le déclic.
J’ai d’abord commencé en tant qu’indépendante. Durant la première année, j’ai pris la main sur certaines des tâches les plus “fastidieuses” pour libérer du temps de création à Eléonore. Mon travail consistait alors à répondre aux e-mails des clients, interagir avec les revendeurs, suivre l’inventaire, écrire des articles de blog et des tutoriels, etc. Nous avons vite toutes deux réalisé que ce partenariat fonctionnait bien, et j’ai alors pris des parts dans l’entreprise et je suis officiellement devenue associée. J’ai repris toute la partie administrative et j’ai commencé à travailler aux côtés d’Eléonore sur des décisions de direction, comme le lancement de nos patrons PDF en 2017.
Au fur et à mesure de la croissance de Deer&Doe, nous avons recruté différentes personnes pour nous aider avec le service client, la création de contenus, et encore la couture de prototypes, ce qui signifie que mon rôle a évolué vers une position plus managériale. A présent, je m’occupe entre autres de la gestion du planning de nos projets, et je veille à ce que tout soit dans les temps pour nos sorties de collections au printemps et à l’automne. Fondamentalement, ceci-dit, mon rôle n’a pas changé : je suis le bras-droit d’Eléonore… et son bouclier humain personnel, en quelque sorte. Mon objectif : lui libérer le plus de temps et de charge mentale possible pour qu’elle puisse se concentrer sur la création de superbes patrons !
Eléonore est une associée en or et je ne peux pas m’imaginer diriger une entreprise avec quelqu’un d’autre qu’elle. Elle est incroyablement talentueuse et a un sens des proportions et de l’équilibre qui me laisse toujours bouche bée. Elle a aussi des standards extrêmement élevés quant à la qualité de notre travail et l’éthique de notre entreprise, et elle propose constamment des idées qui sortent des sentiers battus.
Je pense qu’on se ressemble beaucoup à bien des égards (nous sommes tous les deux des perfectionnistes avec des opinions très arrêtées), mais nous nous complétons bien sur d’autres aspects : elle est courageuse et n’a pas peur de prendre des décisions difficiles, alors je peut compter sur elle lorsque nous sommes confrontées à des dilemmes commerciaux compliqués; de son côté, elle sait qu’elle peut compter sur moi lorsqu’il s’agit de gérer des situations sociales délicates.
J’insisterais sur l’importance de trouver un bon équilibre entre son travail et sa vie personnelle, et de mettre en place une routine saine et durable pour sa vie de tous les jours. Je pense que cela vaut pour tous les boulots, mais c’est particulièrement vital en temps que chef d’entreprise. Chaque nouveau projet paraît si intéressant et important qu’on a envie de tout donner ! Alors on ne compte jamais ses heures et on finit par trop tirer sur la corde.
Malheureusement, ma situation personnelle ne facilite pas les choses. Je vis aux États-Unis avec mon mari, donc soit je travaille à domicile dans un fuseau horaire différent, soit je voyage en France et je passe des semaines à la suite dans un Airbnb près du studio Deer&Doe. Je viens tout juste de rentrer d’un séjour de quatre mois en France, durant lequel j’ai travaillé non-stop les soirs et les week-ends… et ma santé en a définitivement pris un coup.
Tout ça pour dire que je n’ai pas encore trouvé le secret de cet équilibre boulot / vie perso. Si Camille-du-futur a envie de remonter le temps pour venir me donner des conseils dans le présent, je ne dis pas non ! 😅
Pas du tout, mais souvent les gens sont surpris d’apprendre que la couture n’est qu’une toute petite partie de mon travail. Je couds des toiles et des versions d’essai des patrons pour en valider la coupe et la construction, mais la grande majorité de mon temps est passée devant l’ordinateur.
Ce n’est pas non plus moi qui imagine les modèles et les patronne, tout ça c’est Eléonore qui s’en charge. Je donne des idées et des suggestions en fonction de ce qui, selon moi, manque à notre collection ou de ce que j’aimerais porter… et si j’ai de la chance, le patron de mes rêves devient réalité ! Cette partie là sera toujours magique à mes yeux.
Je pense que cela m’aide aussi d’avoir beaucoup d’autres loisirs dans le domaine du fait-main : je tricote, je crochète, je brode, je tisse, et bien d’autres encore. En ce moment je suis en plein dans la création d’une collection de bijoux ! Alors même si je n’avais pas envie de coudre pendant mon temps libre, j’aurais encore plein d’options pour exprimer ma créativité.
Je suis une grande fan de jupes longues, alors je dirais Fumeterre. Oh et aussi Coquelicot, Magnolia, Orchidée, Circée… Désolée, c’est trop dur de n’en choisir qu’un ! Ceci étant dit, la majeure partie de ma garde-robe se compose actuellement de t-shirts Plantain et Dressed, ainsi que de toutes sortes de variations d’Orage. Mon poids fluctue beaucoup en ce moment et je privilégie le confort lorsque je travaille à domicile, donc je me dirige naturellement vers des modèles en maille plutôt que chaine-et-trame.
Pour ce qui est des autres marques, étonnamment, mes deux modèles de prédilection ne sont pas des patrons indés mais des Big 4 ! Butterick 5748 et McCall’s 7121 (malheureusement ce dernier est épuisé). Ils sont tous les deux assez basiques mais les proportions sont parfaites et je me sens tout de suite à l’aise et bien dans ma peau dès que je les enfile. Récemment, j’ai cousu deux salopettes Jenny de Closet Core Patterns que j’aime énormément, et je suis en plein dans la réalisation d’un jean Dawn de Megan Nielsen qui correspond pile poil à mon style. Je suis sûre que ces deux-là vont se rajouter à la liste de mes patrons fétiches.
Je trouve la communauté couture bien plus inclusive aujourd’hui qu’il y a dix ans. De nombreuses entreprises prennent en compte la diversité des styles, des tailles, ou des expressions de genre, et c’est merveilleux de voir autant de personnes de tous horizons réunies autour de cette passion commune pour la couture. Il y a aussi eu une évolution vers une communauté plus globale : la communauté couture française était autrefois un microcosme avec ses modes et ses normes très spécifiques. Désormais, les patrons français sont connus à l’international et à leur tour, les couturières françaises découvrent des patrons venant du monde entier.
Et puis il y a la façon de partager et de consommer les informations qui a évolué. Le contenu lié à la couture est passé des blogs aux photos Instagram, puis aux stories, et maintenant c’est le contenu vidéo court, comme les reels et les Tik Toks, qui règne en maître. L’époque des articles de blog hyper détaillés me manque parfois, mais quand je repense à mon propre blog abandonné, je me demande comment j’ai pu avoir le temps d’écrire tout ça !
C’est tellement difficile à dire ! Il s’est passé tant de choses au cours des dix dernières années, et le monde de la couture est encore en train de changer en profondeur : de plus en plus d’entreprises (nous y compris) laissent de côté les produits physiques pour passer au tout numérique, et certaines ont même basculé à un modèle par abonnement. Qui sait à quoi ressembleront les patrons de couture dans dix ans ?
Je suis également convaincue que la crise climatique et la mise en lumière des nombreux problèmes de l’industrie textile auront un effet drastique sur notre rapport au vêtement. Je pense que la couture a un rôle important à jouer. Je ne sais pas encore lequel, mais j’espère pouvoir apporter ma pierre à l’édifice.
La seule chose dont je suis sûre, c’est que je veux continuer à travailler avec Eléonore aussi longtemps que possible.
Bisoudoudou, 23 janvier 2023
Merci pour ce très bel article où l’on découvre beaucoup d’aspect des coulisses de Deer & Doe. C’est une des marques que je préfère et que je conseille le plus à mes élèves et je suis tellement contente d’avoir pu un peu travailler à vos côtés. Bravo les filles.
veronique, 26 janvier 2023
c’est vraiment très chouette de découvrir à travers vos différents articles les personnes et les lieux derrière une marque qu’on apprécie. c’est aussi ce côté humain qui rend les indépendants intéressants (en p lus des patrons)…
Laura, 27 janvier 2023
J’étais une fidèle lectrice à la grande époque et je trouve très intéressant d’apprendre les dessous de la (petite) histoire. Longue vie à Deer & Doe !
Nadege Petit, 30 janvier 2023
Merci pour cette interview qui nous en apprend beaucoup sur votre duo épatant et que nous sommes beaucoup à admirer. Merci pour votre collaboration passée, présente et future. Un futur de la couture qui comme Camille le dit, sera pleine de surprises (bénéfiques, je l’espère) et qui pourra certainement changer notre vision de la consommation.
granier, 30 janvier 2023
Comme Camille, mon patron préféré est la jupe cimeterre et c’est rigolo de voir comme des situations gênantes pour l’une peuvent être perçues différemment par l’autre personne
Marie-Claude LAURIERE, 31 janvier 2023
Très intéressant ce parcours d’amitié professionnelle. J’adore vos patrons, tellement précis; de plus beaucoup d’originalité dans ces modèles, adaptables aux rondes.
Merci, continuez à me faire rêver et dépenser en achetant des beau tissus.
Alice, 2 février 2023
Ton blog a été un des tout premiers que j’ai suivi et aimé Camille. C’est par toi que je suis arrivée à Deer and Doe quand je suis tombée en amour de ta Datura ! La révélation ! Et même si aujourd’hui je n’ai plus beaucoup de temps pour coudre, je suis a toujours les nouvelles sorties avec attention. Merci pour tout Camille et longue vie à Deer and Doe !
Liseli, 14 février 2023
L’attaque du découd-vite a été ma bouée durant ma thèse, et ma porte d’entrée pour ces patrons et la découverte de thread&needles.
Je n’ai pas de solution miracle pour éviter le burn out mais je suis persuadée que ce n’est pas une fatalité, même en tant que cheffe d’entreprise. Une copine s’est fait coacher pour trouver un meilleur équilibre vie pro / vie perso… peut-être une piste?
Deer&Doe a beaucoup évolué en dix ans, les changements sont notables et c’est impressionnant d’avoir réussi à percer aussi bien et longtemps dans un domaine aussi compétitif.
Comme tu parles de crise climatique et de pierre à l’édifice et que je me rappelle bien combien tu apprécies(ais?) jouer à tétris avec les pièces d’un patron pour optimiser les chutes, peut-être qu’il y aurait du travail intéressant à faire de ce côté-là?
J’ai aussi trouvé très intéressant l’argument économique de The Craft of Clothes à ce propos il y a quelques jours justement : https://lizhaywood.com.au/zero-waste-and-fabric-economy/
Tout de bon et longue vie à Deer&Doe et à toute l’équipe!
Claire, 21 janvier 2023
Merci pour cet article, j’étais curieuse de savoir comment vous vous étiez connues. C’est beau une relation de travail comme la vôtre.